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Retour sur les Rencontres européennes (3) – Patrimoines & biodiversité/

Retour sur les Rencontres européennes (3) – Patrimoines & biodiversité

Rencontres européennes 2023/ Patrimoines & création face aux transitions contemporaines

Du 16 au 18 novembre 2023, l’ACCR a organisé les Rencontres européennes « Patrimoines & création face aux transitions contemporaines » en partenariat avec la Saline royale d’Arc-et-Senans, le ministère de la Culture, le Relais Culture Europe et la FNCC.

Dans un contexte de dérèglement et d’incertitude climatique, la question de la transformation du secteur culturel, pour s’adapter et changer aussi bien les mentalités que les pratiques, a fait l’objet de nombreuses discussions. Tables rondes, conférences et ateliers ont permis d’offrir différents temps de réflexion en présentant aussi bien des données de mise en contexte, en énumérant des exemples concrets d’action, en formulant de nouvelles pistes, etc.

/Patrimoines & développement durable

Comme le rappelle Gilles Clément, paysagiste et jardinier, le développement durable est une notion à manier avec précaution. Il serait davantage une vision, une manière de se projeter et de faire des choix qu’un objectif en soi dans le sens où, par définition, le développement est instable.

Si le développement durable laisse entendre une transition, une évolution d’un modèle déjà en cours, au vu des enjeux climatiques, il serait plus pertinent de parler de transformation complète de ce modèle.

En effet, Daniel Gilbert, professeur en écologie des zones humides à l'université de Franche-Comté, a fait l’état des lieux d’un système hors de contrôle qui se dirige vers une catastrophe inévitable. Les enjeux de prise de conscience et de coopération sont plus que jamais vitaux au regard de notre consommation continuellement plus élevée d’énergies fossiles comme durables.

Si les expert.es peuvent prédire les événements à venir comme le manque d’eau et de nourriture ou encore l’effondrement des ressources nationales et régionales, en prévoir précisément les conséquences est plus complexe. Face à cette incertitude, il faut être moins performant et plus robuste. Si dans un monde stable, la performance est pertinente ; dans un modèle instable, il faut être robuste et redondant, c’est-à-dire avoir plusieurs chemins pour aller au même endroit.

La durabilité s’exprime par cette notion de robustesse et par la capacité des sociétés à s’adapter à l’incertitude. Bien que les Hommes aient toujours su s’adapter, l’accélération inédite des bouleversements climatiques tend à réduire les probabilités.

Au regard de ce besoin indéniable de changement rapide et global, une nouvelle approche du patrimoine est en cours. Bertrand Cohendet, architecte du patrimoine, citait la devise de l’École de Chaillot, école des architectes du patrimoine : « Être armé pour agir dans le monde d’aujourd’hui et mieux répondre aux enjeux de demain ».

Cela passe notamment par une attention portée aux matériaux employés qui devront permettre au lieu d’avoir une fonction évolutive. Dans ce sens, le recours au béton sera à limiter par exemple.

Pour mener à bien cette transformation transversale de l’approche patrimoniale, il convient de créer de nouvelles alliances entre les secteurs qui ne se rencontrent pas ou peu.

/Repenser son approche des espaces

Ce changement de système implique de repenser l’approche et la considération des espaces selon Gilles Clément. Dans la quête d’une écoute de l’environnement et d’action en conséquence, plutôt que de parler de frontières purement administratives il serait plus juste de raisonner en termes de biozones qui correspondent à des zones climatiques distinctes.

Cela répond au besoin de réapprendre où on habite, comment on fait pour vivre dans le temps. Ce qui est mis en valeur actuellement relève de la performance, de la rentabilité et de l’économie, dans le sens monétaire, la maitrise par la technologie, etc. Or, cela constitue une barrière qui occulte la compréhension du génie naturel. Il est illusoire de croire que l’Homme peut maîtriser son environnement.

Les Rencontres européennes ont permis, entre autres, de refaire passer dans les consciences la question vitale de l’évolution et comment on fait pour changer de mode de vie.

/Aménager pour créer du lien

Gilles Clément est intervenu dans plusieurs CCR, dont la Saline royale et l’abbaye de Noirlac, afin de repenser et de proposer de nouveaux aménagements du site patrimonial. Cette démarche s’est faite dans une quête d’harmonie et de respect du patrimoine naturel et de la biodiversité.

À l’abbaye de Noirlac, le projet de modification des jardins était lié à une modification de l’accès au site. Ainsi, il y avait à la fois quelque chose de mécanique et de pédagogique afin de proposer aux visiteur.euses de découvrir des plantes qu’ils et elles ne connaissaient pas forcément sur leur chemin. Quant à la Saline royale d’Arc-et-Senans, la proposition de Gilles Clément pour le cercle immense met en avant ce qui est le bien le plus précieux, à savoir la biodiversité car nous en sommes dépendants. Ne pas la préserver reviendrait à nous condamner. Cet exercice a permis de créer une forme d’école des jardins planétaires.

Dans ces cas concrets, l’aménagement est devenu ressource pédagogique venant confirmer le rôle de médiation des CCR dans la mesure où ils permettent d’alimenter et de partager la connaissance sur le vivant. Ce sont des lieux privilégiés qui facilitent cette compréhension et expérimentation du vivant.

Cet aspect pédagogique de transmission et de sensibilisation est d’autant plus précieux dans un monde qui prône la technologie et non l’aspect manuel et spirituel permis par le lien avec la nature.

Outre le lien permis avec l’environnement, certains aménagements extérieurs, tels que les points de vue ou bien des endroits pour s’asseoir, apparaissent également comme des opportunités de se rencontrer entre visiteur.euses.

/Les CCR, refuges pour la biodiversité

Par cette attention portée à l’articulation entre le bâti et le naturel, les CCR se présentent comme des lieux refuges pour la biodiversité. A l’occasion d’un atelier sur cette thématique, les exemples de la Saline royale et de la Chartreuse de Neuville ont pu être présentés.

La Saline royale se situe entre deux zones Natura 2000, ce qui fait du site un lieu marqué par une certaine richesse faunistique. En tant que refuge LPO, le CCR a des missions d’inventaire des espèces et de médiation auprès du public afin, notamment, de vulgariser le travail effectué au travers d’animations et de panneaux pédagogiques. A propos du « cercle immense », élément caractéristique de la Saline, celui-ci a été créé dans l’optique d’en faire un îlot de biodiversité ainsi qu’un laboratoire des métiers du paysage.

Parmi les actions de la Chartreuse peuvent être citées la mise en place d’une gestion différenciée des espaces et de fauches tardives ainsi que la sensibilisation aussi bien des salarié.es que des visiteur.euses. Avant chaque projet pouvant avoir un impact sur la biodiversité, la Chartreuse réalise un état des lieux de la diversité présente afin de mettre en évidence les enjeux écologiques et de définir une stratégie en conséquence. La gestion qui en découle est pensée selon les usages actuels mais aussi futurs des lieux. Afin de mettre en place ces nouveaux projets, la Chartreuse de Neuville fait appel à plusieurs acteurs : les compétences en interne, des bureaux d’études en écologie, des associations naturalistes, des bénévoles naturalistes, etc.

Les deux CCR ont tenu à souligner que même un projet à visée écologique, comme la récupération des eaux pluviales, pouvait avoir un impact négatif sur l’environnement dans sa mise en place.

/La culture comme levier du changement

Que ce soit lors des tables rondes ou des conférences, les intervenant.es se sont accordé.es pour dire que la culture a un véritable rôle de levier à jouer dans le changement de système. Par nature, la culture et les artistes ne répondent pas à un mode d’emploi, ce qui les rend plus adaptables que les autres secteurs.

Les acteurs culturels, et les espaces de discussion qu’ils alimentent, pourraient correspondre au niveau intermédiaire dans une société, à savoir entre l’individuel et l’État. Celui-ci serait en mesure de répondre à l’envie d’agir du niveau individuel qui est en demande d’accompagnement.

Grâce à la culture, qui implique des notions de vivre ensemble et de transmission, il est possible d’envisager un futur plus désirable et de donner des pistes pour l’atteindre. La culture, quelle que soit sa forme, rend compréhensible et accessible des enjeux fondamentaux et ainsi encourage le passage à l’action.

Dans ce sens, le festival Look up, initialement pensé sur la base de trois scenarii possibles pour le futur issus de propositions scientifiques, a évolué vers une approche plus tangible : Fou2food en 2050. Les élèves et étudiant.es sont invité.es à imaginer un menu qui pourrait être dégusté en 2050. Cette préparation est notamment l’occasion de parler de la gestion de l’eau, des déchets et des aliments à privilégier pour réduire son empreinte environnementale.

La culture permet de réinstaurer un dialogue parfois distendu avec le politique et le scientifique. Il s’agit d’aider les citoyen.nes à se préparer et à se projeter dans un nouveau monde en instaurant une nouvelle pédagogie tout en essayant de surpasser l’éco-anxiété. Par ces approches repensées avec les citoyen.nes, l’exercice de la démocratie est également pleinement à l’œuvre.

Cela fait écho aux préoccupations du ministère de la Culture exprimées par Karine Duquesnoy, haute fonctionnaire à la transition écologique et au développement durable au ministère de la Culture, qui insistait sur l’importance de travailler autrement le lien au public pour davantage d’implication et d’écoute, comme le pratiquent quotidiennement les CCR.

 

Ressource :

  • Le Manifeste du tiers paysage, ouvrage de Gilles Clément, présente le paysage comme une perception, reflet d’une relation particulière au vivant, à l’espace et aux institutions. Ce texte invite à cultiver des espaces de « non-agir » à tous les niveaux de nos vies.